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vendredi 22 mai 2020

Vol au-dessus d'un nid de confiné

Confinement, a-t-on dit. Confinement strict a-t-il compris. La veille du jour fatidique, il a fait partie de ceux qui firent des stocks. Il a compris quarantaine, il a compté quarante jours et il a pris plus : plus de papier toilette, plus de boîtes de conserve, de la viande congelée, des pâtes, de toutes les formes, de toutes les couleurs, du riz, 10 kilos de pommes de terre, 5 de carottes, autant de farine, 5 douzaines d’oeufs, 3 kilos de sucre, du café, beaucoup de café. Et de la bière, de la bière, de la bière. Il a fait trois allers-retours le coffre plein. Il a stocké tout ça dans son trois pièces. Des boîtes partout, jusque dans la salle de bains.

Et il a décidé de ne plus sortir du tout. Au début, il avait pris l’habitude de laisser BFM TV en permanence, en bruit de fond, histoire de se tenir informé. Mais très vite, il a trouvé cela angoissant. Il a alors passé ses journées à zapper d’un épisode de Colombo à une rediffusion de Louis de Funès. Le temps ne lui sembla pas si long. Il était tranquille, il somnolait les trois quarts du temps, il ne bougeait que pour aller à la cuisine, s’ouvrir une boîte, faire un petit frichti, manger frugalement sur un coin de table...Très vite la vaisselle s’était empilée dans l’évier. Il a donc décidé de remédier à cela en mangeant directement dans la casserole.

Il a perdu la notion du temps. Il n'aurait pas su dire quand. Mais le jour et la nuit se sont soudain enchaînés sans que cela ait désormais la moindre importance. Seul le retour régulier de la batterie déchargée de son téléphone semblait rythmer sa vie. Il faut dire qu’il jouait beaucoup, à Candy Crush, à Pet machin, à Farm truc. Il alternait les parties et puis ces applications avaient offert du temps de jeu, spécialement pour le confinement. Il pouvait y passer des heures sans même s’en rendre compte. Il finit par trouver une rallonge et laissa son portable branché en permanence.

Rapidement, il ne prit plus la peine de se laver et de s’habiller. Depuis combien de temps portait-il le même caleçon ? Cela n’avait aucune importance : personne d’autre que lui pouvait être gêné par l’odeur ou la couleur suspecte. Il dormait autant qu’il le pouvait, ne se levait que quand son estomac ou sa vessie se rappelait à lui. Il lui semblait que depuis l’adolescence, il n’avait jamais été aussi heureux. Une fois ou deux, sa fille, la quarantaine et qui habitait à l’autre bout de la France, l’appela. Elle s’inquiétait, elle semblait nerveuse. Il ne comprit pas vraiment pourquoi : il la rassura. Je vais bien, j’ai tout ce qu’il faut.

Il perdait pied, mais il ne s’en rendait pas compte.

Plus rien de rationnel dans son comportement : plus d’horaire, ni pour dormir, ni pour manger. Plus de petit-déjeuner, plus de déjeuner, plus de dîner. Non, juste des boîtes de raviolis entamées, juste des pommes de terre sautées à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. Il mangeait selon ses lubies du moment : il passa une semaine à ne faire que du riz, si bien que ses intestins se détraquèrent, eux aussi, tout à fait.

Un mois passa. Le soir, parfois, désormais, à 20h, il était alerté par les applaudissements aux balcons et aux fenêtres. Alors, une fois de temps en temps, quand il ne dormait pas, quand il n’était pas complètement abruti par une partie interminable de Tetris ou de Solitaire, quand il n’était pas absorbé par les circonvolutions verbales d’un inspecteur à imperméable crado, il sortait la tête à la fenêtre pour voir les gens. Il était ravi par ces acclamations. Le premier soir, timidement, il s’autorisa quelques clap clap. Il ne se fit pas remarquer et referma bien vite la fenêtre. Puis il s’enhardit. Il cria des bravos, des hourras, des youyous. Il était enthousiaste et cela le défoulait de ses longues journées sur son canapé. Il n’avait pas fait usage de sa voix depuis des semaines, il faut se rendre compte ! Et soudain, il criait à la fenêtre, chaque soir, pendant 5 bonnes minutes. Il se mit carrément à attendre avec impatience ces moments-là. Pour ne pas les manquer, il installa une alarme sur son téléphone. Il se mit à chercher des moyens de faire plus de bruit, pour se faire remarquer, parmi ses voisins. Une gamelle, une cuillère en bois. L’ampli de sa chaîne hi-fi, pour diffuser une chanson. Un matin, il se leva avec la ferme intention de vérifier l’état de sa vieille guitare électrique pour tenter un petit solo au balcon. Le soir même, il tentait une sorte de grincement sinistre. Cela ne donna rien de très mélodique. Cela fit du bruit. Les voisins exultèrent. Il rentra heureux au bout d’un bon quart d’heure d’applaudissements.

C’est à ce moment-là que tout bascula. Il se mit à penser, du soir au matin et tout le jour que les applaudissements de 20h étaient pour lui. Que les gens l’attendaient. Il régla alors l’alarme de son téléphone une minute plus tôt pour sortir, pour se préparer. Il sortait sur le balcon dans des accoutrements improbables. La journée lui servait à trouver de vieux chapeaux à les agrémenter de ce qu’il trouvait, du papier d’alu, des couvercles ou des fourchettes. Il dégota un boubou dans le fond de son armoire, des guirlandes de Noël, des fleurs en plastique...Il passait son temps à confectionner ces costumes ridicules, il était persuadé d’être David Bowie, Elton John, Lady Gaga. Son public l’attendait, chaque soir, au balcon. Il fallait qu’il soit à la hauteur. Il fit alors des vocalises une demi-heure avant pour échauffer sa voix. A court d’idée, un matin, il se mit en tête d’apprendre une chorégraphie. Le soir, les gens riaient, criaient, applaudissaient à tout rompre. Et il saluait, il faisait de grands signes. Il était Johnny au stade de France.

Puis vint la fin du confinement. Les cloches ne sonnèrent plus à 20h. Les gens ayant repris le cours de leur vie, oublièrent subitement ce moment convivial. C'était le soir d'après et il n’avait pas réalisé. Il avait pourtant fait fort : il était en caleçon, un joli caleçon rose avec de gros coeurs rouges, un caleçon qu’on lui avait offert pour son départ en retraite, une blague de ses collègues, un accessoire de farces et attrapes, qu’il n’avait même jamais sorti de son emballage, jusqu’à ce soir. Et il était là, seul à son balcon, avec ses kilos en trop, avec son ventre de buveur de bière et avec son caleçon rose. La blague, ce qui était pour lui le clou du spectacle, c’était son masque. Il était en caleçon et en masque.

Mais personne n’était là pour le regarder. Décontenancé, démuni, soudain se sentant plus nu qu’un enfant à sa naissance, ridicule, il se jeta de son balcon.

1 commentaire:

t0pol a dit…

j'ai rigolé à "Pet machin truc" pendant a une appli pour pétomanes.C'est cruellement beau on imagine le vol plané du quintal en calecon .