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jeudi 7 mai 2020

Journal de guerre contre un virus #53

Je n’ai pas de fièvre.

Je me souviens de longues soirées d’été en Savoie, quand j’étais enfant. L’arrivée des Parisiens était toujours un événement. Les cousines sont là, c’est la fête ! Rolande, Michèle, Martine débarquaient et tout était différent. Martine avait un accent parisien qui nous amusait follement, quand on était petits, avec mon frère. Elle racontait toujours les choses avec tellement de verve, mêlant de l’argot et un sens de l’humour et de l’autodérision. Nous étions fascinés. Parfois, nous allions la voir à Paris. J’admirais sa conduite dans les rues embouteillées de la capitale, là aussi accompagnée d’un langage fleuri qui m’enchantait.

Et puis suite à une mutation, suite à une envie d’être un peu plus au vert, sans doute, elle avait déménagé à Niort. C’est là-bas que je l'ai vue pour la dernière fois, c’était il y a 6 ans déjà, que le temps passe vite. J’avais emmené ma mère pour quelques jours dans la région du marais poitevin et nous avions passé une après-midi à Châtelaillon-Plage, au bord de l’océan.

Nous nous téléphonions de temps en temps, nous échangions régulièrement sur Facebook. J’aimais parler avec elle. Elle rêvait de revenir en Savoie, elle nourrissait une nostalgie immense pour le pays de ses ancêtres. Elle était la mémoire de la famille de ma mère, elle avait fait un travail de recherches généalogiques colossal pour débrouiller un héritage compliqué depuis des tas de générations.

J’adorais l’entendre raconter la légende de notre oncle capitaine en Indochine, revenu riche et ayant fait bâtir un domaine dans son village de Savoie...et les querelles de famille qui s’en suivirent pour profiter du pactole. Les portraits qu’elle dressait de nos illustres ancêtres, des personnages de notre famille étaient si haut en couleur qu’elle aurait pu en faire des romans. Mais elle avait le don de la parole. 

Elle avait lu mes romans et les avait appréciés, nous avions eu l’occasion d’en parler souvent au téléphone. C’était toujours des échanges passionnants. Elle me parlait alors de ma grand-mère maternelle, qui aimait écrire, elle aussi, qui avait longtemps caressé le rêve d’être romancière, sans franchir le pas, mais dont la légende familiale dit qu’elle avait souvent écrit des nouvelles pour des magazines.

J’ai eu des nouvelles de Martine pour la dernière fois fin mars. Fin avril, je me suis dit plusieurs fois qu’il fallait que je l’appelle, vaguement inquiète de ne plus voir de post sur Facebook, mais la vie étant ce qu’elle est, je ne l’ai pas fait...

Aujourd’hui, Martine est morte. Elle était affaiblie depuis quelques mois par un cancer du poumon. Elle luttait, la chimio avait bien fonctionné et les dernières fois que je lui avais parlé, elle était optimiste. A vrai dire, Martine était toujours optimiste. Une politesse du désespoir, pour ne pas inquiéter les gens qui l’aiment, peut-être. C’était une belle vivante, une amoureuse de la vie.

Je ne sais pas si c’est le virus qui a finalement eu raison de ses poumons déjà affaiblis. Elle avait perdu sa mère Rolande il y a quelques mois, elle vivait seule dans une ville éloignée du reste de sa famille, de son fils, de sa petite-fille, de sa sœur et de ses cousins, et le confinement a dû être très pénible pour elle. L’isolement n’a sans doute pas amélioré sa santé, physique et morale.

Aujourd’hui, sa sœur qui vit en région parisienne, donc dans une région “rouge”, a obtenu une autorisation pour aller la voir. Trop tard pour la voir une dernière fois vivante, trop tard pour lui parler une dernière fois.

L’enterrement, dans une région verte, se fera avec une vingtaine de personnes. Ce sera à 750 km de chez moi. Mais je serai avec elle par la pensée et par le coeur.


8 commentaires:

Nicolas Jégou a dit…

Mes condoléances...

Elodie Jauneau a dit…

Des bises... courage hein.

jeandelaxr a dit…

Je t'embrasse, toi et les tiens.

patnette a dit…

Bien triste
Toutes mes pensées t'accompagnent Céline

Cycee a dit…

Merci à vous tous.
Patnette, je ne sais pas qui tu es...Dis-moi...

MHF a dit…

DE tout coeur avec vous...

Unknown a dit…

Mes condoléances..

Juan a dit…

condoléances, Céline.