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jeudi 14 mai 2020

Reprise

Sans conteste, il est une chose qui a repris, c’est le rythme effréné, les bouchons dans la rue aux heures de pointe, les klaxons. Les ambulances hurlantes. Le bruit, la vie.

Nous sommes déjà jeudi, je n’ai pas vu le temps passer, j’ai eu une semaine comme avant. Cours, mairie, famille, soucis...Tout s’est enchaîné avec un sommeil chaotique et des milliers de choses à faire en même temps. Trois heures par jour sur l’iPhone et près de huit heures par jour sur l’ordinateur. Mon Dieu ! Mes yeux !

J’ai passé du temps avec mes élèves : sur tous les réseaux, pour essayer de leur parler, juste pour avoir un contact. Certains sont complètement perdus. En début de semaine dernière, nous reprenions après deux semaines de vacances. Une petite que je capte essentiellement sur WhatsApp m’interpelle pour me demander s’il faut revenir au collège. Ses parents étaient inquiets et ne savaient pas quoi faire. Ils n’avaient donc même pas regardé un peu les infos pour savoir ce qui se passaient et ne se doutaient pas que s’il avait fallu reprendre, le collège les en aurait avertis.

Depuis je suis rassurée : elle est chez sa grand-mère, qui l’aide à travailler, qui la prépare pour la 5e. 

Aujourd’hui, un autre sur WhatsApp aussi m’explique que c’est le portable de son père et qu’il vaudrait mieux pour lui que je lui envoie les devoirs sur SnapChat. Je vais sur cette appli pourrie (il faut dire ce qui est, c’est pourri, SnapChat). Et là, l’élève me dit je vous envoie mon travail par SnapChat. J’ai à peine le temps de voir la photo d’un cahier ouvert prise de loin, que le truc s’efface (c’est le principe de SnapChat) En fait, le gamin a essayé de m’entuber, c’est clair ! Mais il ne s’en tirera pas comme ça.

Ensuite, il y a Discord. C’est le logiciel de gamers qui s’adapte le mieux à ce que nous pouvons faire : classe audio, serveurs qu'on peut organiser en différents salons, messagerie privée, ouverte ou pas à tous... C’est performant. Est-ce fiable ? On ne sait pas, mais c’est mieux que tout ce qu’on peut avoir ailleurs. Et surtout c’est là qu’on capte le mieux les classes entières, où l’on a instauré un mode de fonctionnement depuis 7 semaines.

Et puis on a eu un mail de l’éducation nationale, 6 semaines (sans compter les vacances) après le début du confinement, qui nous a gentiment proposé une application joliment nommée BlaBlaClasse (l'uberisation de notre société passe aussi par l’éducation nationale). C’est un service de chat (so 1998) peu convivial (moche, pour tout dire) et complexe, avec un règlement à approuver qui te passe l’envie immédiatement de chercher à t’en servir.

Dans la lettre de présentation de ce service de chat, on nous écrit qu’il est interdit de se servir de Discord. Noir sur blanc. Nous sommes des bons élèves, en général, dans l’éducation nationale. Cependant, quand une administration met 6 semaines (sans compter les vacances) pour trouver un substitut pas performant à une appli qui a été prise en main par le plus grand nombre, on ne peut pas suivre.

En fait, depuis le début de la crise, la #NationApprenante et ses enseignants ont dû tout inventer dans l’urgence. En une semaine, on a créé des solutions, avec ce qu’on pouvait. Avec nos ordinateurs personnels, avec nos connexions, avec nos abonnements 4G ou wifi, avec nos imprimantes...On a l’habitude, puisqu’on fait partie de cette grande maison où l’on pique du matériel chez nous pour l’apporter au boulot, à longueur de temps : même des stylos, notre employeur est infoutu de nous en fournir, même du papier, même des ordinateurs. Ah ! Si, dans la salle des profs, il y a 6 ordinateurs pour 70 profs ! Ouf !

Ce que je veux dire par là, c’est qu’il nous faudrait nous aussi une prime, une médaille, du matériel, des embauches, des locaux assez grands. Mais déjà que ce n’est pas gagné pour les soignants qui le méritent évidemment encore plus, alors pour nous, petits fonctionnaires (les moins bien payés d’Europe), toujours en vacances et aux fraises pendant le confinement, nous pouvons toujours rêver.


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