[Je n’ai pas de fièvre. Ce soir, une nouvelle fantastique...]
Les rues vides. Les places désertes. Et ce ciel bleu.
Il faisait beau. Trop beau. Et cela depuis trop longtemps. C’était suspect. On nous annoncait pourtant de la pluie, du gris, des températures en baisse, régulièrement, à quelques jours de prévisions, sur les applications du téléphone, dans les bulletins météos de la télé, qui étaient désormais annoncés par une voix off, désincarnée. On nous disait : “Dimanche prochain, il pleuvra”. Et on y croyait. Puis, plus on s’approchait de la pluie promise, plus on prenait conscience que c’était une promesse en l’air et qui ne tomberait pas. Le ciel était bleu, invariablement. Et ce bleu devint étrange et oppressant, comme celui d’un décor de théâtre, un peu faux. Parfois, un petit nuage ou deux venaient s’effilocher doucement dans ce tableau qui semblait peint à l’acrylique.
Cellule de crise de l’Elysée, 9 avril 2020.
Les météorologues les plus fameux de notre système universitaire étaient réunis autour d’un conseil d’Etat restreint. L’heure est grave. Ils avaient le visage sévère, sous leurs cheveux aux quatre vents. En plus de la crise du COVID-19, ils devaient faire face à une crise climatique sans précédent. Selon toutes leurs prévisions, la pluie ne tomberait plus jamais sur la France.
C’était la troisième fois que le comité se réunissait autour du chef d’Etat et de quelques ministres du premier cercle. Lors des précédentes réunions, il avait été décidé qu’il était urgent d’attendre. Qu’il ne fallait rien dire. Qu’il fallait modifier un peu les bulletins météos de temps en temps, pour annoncer un peu de grisaille, pour expliquer que l’anticyclone allait se décaler vers la Norvège pour laisser place à une perturbation qui viendrait par la Bretagne et qui envahirait progressivement l’ensemble de la France.
Mais cette fois, après 4 semaines de soleil, certains commençaient à s’interroger. Les météorologues amateurs de toutes les régions de France, les relais de Météo France ayant des stations météorologiques dans leur jardin, les profs de SVT surveillants avec leurs élèves confinés les stations des collèges, en arrivaient tous à la même conclusion : il ne pleuvrait pas d’ici très longtemps. Comme si tout avait été mis sur pause.
Cette fois-ci, c’est Evelyne Dhéliat qui prit la parole, au nom de la communauté scientifique.
“- Il faut maintenant annoncer aux gens que rien ne sera plus comme avant. Que les saisons ne reviendront pas. Que ce printemps va se figer progressivement et que les fleurs vont se dessécher et tomber, que le soleil va progressivement brûler tout. Que les rivières et les fleuves vont d’abord se figer puis s’évaporer tout doucement, puis que leur lit ne laissera place qu’à des poissons morts et à de la terre craquelée. Il faut le dire. Ce virus nous a cloîtré, nous a isolé, a figé notre société et la terre s’est arrêtée de tourner.”
Le président avait chaud. De grosses gouttes de sueur coulaient déjà le long de ses tempes et venaient mouiller le col trop serré de son costume si bien taillé. Il n’avait pas dormi depuis trop longtemps et même s’il voulait toujours paraître impeccable, son teint était livide et il était pris d’un tic nerveux qui faisait trembler à intervalles réguliers sa paupière gauche. Il prit la parole après les propos poético-tragiques d’Evelyne Dhéliat.
“- Nous sommes déjà en train de gérer la crise sanitaire du siècle, comme vous le savez. Nous ne pouvons pas annoncer une nouvelle catastrophe aux Français. Ce serait la panique. Ce serait la guerre. Ce serait la fin du monde”.
Un scientifique ne put se retenir et sur le ton du sarcasme, interrompit le chef d’État pour affirmer que c’était bien cela, que c’était la fin du monde.
Le Président ne releva pas. Il avait déjà consulté ses communicants. Il avait parlé à Sibeth une bonne partie de la nuit. Elle n’avait eu de cesse de lui répéter que les gens adoraient le beau temps. Que ce n’était pas un vrai problème, pour l’instant. Et qu’il fallait prendre chaque sujet au jour le jour. Qu’on aurait bien le temps de se dédire plus tard. Que c’était sa spécialité, de se dédire et qu’elle n’avait pas d’égo.
Le Président continua : “- Les gens aiment le beau temps. Le plus souvent, ils l’appellent de leur voeux.”
Le ministre de l’agriculture le coupa : “Sauf les agriculteurs, quand même ! Souvent, ils disent qu’au mois d’avril, il doit pleuvoir 31 jours sur 30... ils sont déjà très inquiets pour leurs cultures, pour les nappes phréatiques et tout ça…”
Le Président repris. “Les agriculteurs représentent moins de 2% de la population. Nous nous adressons aux Parisiens confinés, aux citadins, aux gens qui bossent dans le tertiaire qui sont la majorité des Français. Aux professions du tourisme. A tous ceux qui télétravaillent en ce moment. Ils adorent le beau temps. Ils vont être servis. Les lundis au soleil, pour l’éternité. Alors les agriculteurs, mon bon !”
“Mais enfin, c’est ce qui nous permet de nous nourrir”, s’exclama le spécialiste des nuages lenticulaires de l’académie des sciences de Bordeaux.
Le Président ne releva même pas : “On s’en fout. On va dire qu’il fait beau. Chaque jour. On va le dire avec le sourire. Et puis dans un premier temps, on va essayer de se débarrasser du virus. Pour l’instant ce soleil, c’est le moral des troupes. C’est ce qui permet à chacun de vivre son confinement bronzé comme Gérard Jugnot dans le film du même nom. On ne va pas s’en plaindre. On pensera aux conséquences plus tard. Mesdames, messieurs, nous nous reverrons la semaine prochaine.”
En sortant, Evelyne Dhéliat se tordit un peu les chevilles sur les graviers de la cour de l’Elysée, perchée qu’elle était sur ses escarpins de présentatrice télé. Elle leva les yeux vers l’azur. Elle versa une larme.
Son collègue d’ordinaire si joyeux, ce grand escogriffe qui officiait sur France 3 et qui cultivait son accent du midi, la prit par les épaules pour la consoler. “Pleure pas, va, profitons. La vie est courte et nous en savons désormais la fin. Soyons philosophe. Nous allons mourir de soif. En attendant, vivons.”
Evelyne éclata de rire et se dégagea de l’étreinte de son collègue. “Eh ! Les gestes barrières ?! Tu veux me tuer, ou quoi ?”
15 août 2020.
Il n’avait pas plu depuis le 16 mars. Tout était desséché et c’était la pire des canicules que la France et l’Europe avait connu. Les stocks de lait et de farine de l’Union Européenne étaient arrivés à leur fin depuis quelques semaines déjà. Les batailles étaient terribles autour des derniers points d’eau, des lacs, des sources de montagnes, où les plus chanceux - les plus riches, en vérité - avaient pu migrer. Les réseaux étaient coupés, plus personne ne savait ce qui se passait dans le reste du monde. Le virus avait continué sa course folle : il aimait le soleil. Il avait décimé la race humaine sur la terre exsangue, il avait tué les hommes déshydratés.
Quelque part en Savoie, comme dans quelques autres paradis terrestres, au coeur des forêts profondes, des petits groupes d’hommes et de femmes avaient pris en secret des sources intermittentes, des fontaines anciennes, oubliées des citadins... Les petites communautés s’étaient promis fidélité et avaient décidé de faire renaître la vie en préservant cette ressource unique. L’angoisse était immense, à chaque fois que la source s'interrompait ou qu’elle semblait se tarir. Mais quand elle repartait, c’était une fête. C’était une joie. L’eau, l’air, la vie. Pas d’argent et beaucoup d’amour.
Au bout du 360ème jour, quand il ne resta que quelques humains plein de bonne volonté sur terre, dans des lieux préservés et protégés, quand ces hommes retrouvèrent le goût de la paix et de la fraternité, il plut.
9 commentaires:
J’aime ton optimisme..
Tant qu'il y a de l'espoir...
C'est la vraie vérité, tout est vrai, mais, ils ne sont pas près...! ;-)
C’est magnifique
La routine, ici.
Quand j’étais petit on avait une expression qui disait « on aurait dit que » !!!!
Ça m’a plu et j’ai lu ça presque comme un conte !!
C’est beau
@Jeandelaxr : ça va ? Ton confinement se passe bien ? Bisous
@ Elodie : Merci !
@Nicolas ; Merci !
@Bertrand Cocuaud : Merci !
Que dire de plus que merci :)
Bonne journée à tous !
Vivre d'amour et d'eau fraîche. Belle histoire pas si éloignée de la réalité qui nous attend, hélas.
Les paysans aiment aussi dire, je crois : "le mauvais temps, c'est le temps qui dure"...
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