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samedi 18 avril 2020

Journal de guerre contre un virus #34

Je n’ai pas de fièvre.

Rien ne vaut la douceur du foyer, les plaisirs minuscules, la conquête d’un intérieur qu’on ignore d’ordinaire, l’aventure confinée. J’ai redécouvert la blancheur des joints de mon carrelage ! Nul besoin de lointains voyages. J’ai redécouvert le design de mon mobilier ! Rien ne vaut un décor familier.

Puisque rien a de sens, j’essaie de me créer des micro tâches, indispensables, mais qui me permettent de procrastiner, pour me donner l’impression d’avoir plein de choses à faire. Je dois absolument trier les facturettes qui encombrent mon portefeuille. Mais je le ferai demain, peut-être. Je dois absolument trier le linge qui s’entasse sur cette chaise qui se prend pour une armoire, dans ma chambre. Mais je le ferai, oui, je le ferai, promis, pas la peine de le rappeler toutes les semaines.

Moi qui remets toujours au lendemain, déjà, en temps normal, pour ces micro tâches du quotidien, j’ai l’impression que c’est devenu vital en période de confinement : avoir des perspectives, avoir des objectifs.

Je remets à demain mon envie d’aller courir. Est-ce vraiment une envie ? J’en mourrais, si je me mettais à courir, mon coeur ne tiendrait pas le choc.

Je remets à demain l’envie d’écrire un nouveau roman, d’en lire quelques uns. Je remets à demain le point inévitable qu’il faut que je fasse sur ma vie, à quarante ans passés. Je remets à demain l’envie de m'apitoyer sur mon sort.

Pour aujourd’hui, mon transit intestinal est parfait, les nuages, les merveilleux nuages, offrent à ma vue un tableau charmant dans le ciel toujours bleu de ce début de printemps et un couple de faucons crécerelles habite le quartier et nous ne l’avions jamais remarqué auparavant.

Comme chaque année, les marronniers sont en fleurs.
Ils tendent leurs belles grappes coniques vers l'azur,
Ces arbres pointent leurs fières fleurs comme des phallus vers le ciel...
C'en est presque érotique.
(Ne vous inquiétez pas, j'écris ça chaque année dans mes blogs, c'est une tradition)

La vie est douce à qui veut de la douceur et ça ne coûte pas grand chose. Si l’on sait regarder, si l’on sait écouter, tout, depuis les joints du carrelage, jusqu’aux faucons nichant dans les toits du voisinage, tout est beauté, tout est amour et tout est harmonie. Tout parle à l’âme en secret, pour qui sait entendre.

Au loin la cloche de l’église sonne à 14h24, ce qui est inhabituel. Ce doit être un enterrement.

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