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lundi 6 avril 2020

Journal de guerre contre un virus #22

Je n’ai pas de fièvre.

J’avais commencé à écrire un billet pour ce soir. J’étais en mode tragédie. Je voyais tout en noir. C’est mal. Je le mettrai à la fin du post et ceux qui ne veulent pas lire pourront s'arrêter à temps.

Et je le refais en mode comédie.

Pas de Corona dans la choucroute.
Comédie ballet en 5 actes.
Répliques de Robert Thomas et Edouard Bourdet.

Acte 1 : 
 (“...vous verrez qu'y ne boufferont pas toujours que du riz en Chine... Y tourneront voraces.”)

C’est une grippette, dit Sibeth. Hop ! Une porte claque. Une grippette chinoise, en plus ! (Rires) Pas d’inquiétude, Odette, ça n’arrivera pas chez nous !

Dans le placard, un gros virus en plastique violet (les costumes sont de Christian Gasc), pointe déjà son nez. Le public est hilare quand la porte s’ouvre et que le gros truc violet débaroule sur la scène. 

Odette éternue mais ne maîtrise pas encore les gestes barrières. Elle se demande s’il ne faudrait pas mettre un masque, quand même. Sibeth réplique : “Un masque ? Mais ce serait ridicule. Très inapproprié ! Tu n’es pas infirmière, ma pauvre Odette. En plus, tu ne saurais même pas le mettre correctement. Les masques, tout le monde le sait, ça ne sert à rien.”

Pendant qu’Odette a le dos tourné, le gros virus violet fait une petite danse du ventre, sur un air de pop coréenne. Le public est hilare.

Acte 2 : 
(Corona et chapeau de paille en Italie.) 

Mamma mia ! ça se rapproche, dramatise Odette. Sibeth la rassure : “Les Italiens ne sont pas organisés, ils ne savent pas gérer. Et les Alpes nous protègent ! Pas simple, avec des petites pattes de virus, de passer le Mont Blanc !”

En arrière plan, le gros virus fait de l’escalade. (Les décors, très réussis, sont de Raymond Sarti.)  

Odette est rassurée et mange une pizza.

Devant la télévision, Odette apprend qu’un rassemblement évangéliste a lieu à Mulhouse : 2500 personnes enfermées ensemble. Sans doute des Italiens, parce que le virus est arrivé par là en France.

“Mais que Diable allaient-ils faire dans cette galère ?”

Sibeth en rajoute : “S’il y a un Dieu, c’est pas celui-là !”

Mais tout est sous contrôle.

Deux jours plus tard, on joue au foot à Lyon, pile de l'autre côté des Alpes : France-Italie. Cool, les virus adorent le ballon rond.

En arrière plan, ce n’est plus un virus, mais onze, en short et baskets qui font tranquillement leur footing dans le salon.

Acte 3 : 
(mais stade 2) 

Odette tourne en rond dans son salon.
Faut-il encore manger de la choucroute ? Les urgences de Mulhouse saturent déjà !

Sibeth en rajoute une couche : “Une choucroute ! Bien évidemment ! C’est le pangolin qu’il ne faut pas boulotter, ma pauvre Odette. Tu as vu : une semaine après, les écoles ne sont toujours pas fermées et Manu et Brigitte vont toujours au théâtre !”

Ayez confiance.

En arrière plan, le virus en costume traditionnel d’Alsacienne envahit la cuisine sur un air de Yodli, Yodla.

“Cette choucroute me pèse sur l’estomac !” déclare Odette en s’affalant sur le canapé. “Mais j’ai confiance, ce matin, le Ministre Blanquette a déclaré qu’il était hors de question de fermer les écoles. Tout va bien, tout est sous contrôle !”

Elle allume la télé. “Tiens, le président Macaron ! Que va-t-il nous dire ?”

“Dès demain matin, toutes les écoles sont fermées ! Dormez tranquille, tout est sous contrôle ! D’ailleurs, on va quand même faire les élections : vous voyez bien que ce n’est pas grave.(Rires du public) Mais on va quand même fermer les bars et les restaurants.”

Derrière Odette, les virus font une ronde “Mais oui, mais oui, l’école est finie” (La musique est de Sheila, un choix discutable.) 

Acte 4 
(mais stade 3) 

Les élections ne sont pas dangereuses. Non. On ne se sert pas la pince et le tour est joué. Moi, dit Sibeth, je suis bien contente de ne pas serrer la main, ça me fatigue, d’ordinaire.

Le lendemain, alors qu’on a à peine eu temps d’analyser les résultats du premier tour, Odette se retrouve encore devant la télé :

“Encore une allocution de Macaron ? On y prendrait goût, ma parole, il est bel homme. Bon v’là qu’il nous dit que c’est la guerre. Et quoi d’autre ?”

Sibeth est embêtée : pas une seule fois, il n’a dit “confinement”.

Bon, allons pour la guerre, alors.

Elle file en douce et hurle en claquant la porte : “Faut que je fasse des courses, mon Odette, on n'a plus un seul rouleau de papier toilette.” Le public se gondole.

Odette comprend, mais trop tard, que c’est le confinement. “Et dire que je n’ai pas refait ma couleur ! Bah ! Il y en a pour 15 jours, on tiendra le coup !”

Pendant ce temps, Sibeth revient des courses, range l’huile, les patates, le riz et les pâtes dans les placards, les virus entament le ballet des rouleaux de papier toilette, sur l’aria du “Je savais tout et je n’ai rien dit” de la Buzinni, grande cantatrice des temps modernes.

Acte 5 
(mais rassurez-vous, la pièce Pas de choucroute sans Corona 2 est dans les tuyaux) 

Sibeth et Odette, hébétées sur leur canapé, s’ennuient. Elles ont les yeux cernés de violet, le même violet que celui du costume du virus. Leurs cheveux sont dressés sur leur tête et ressemblent à s’y méprendre au petit picots qui habillent le même costume du COVID-19.

A la télé, le premier ministre Edouard Laflippe annonce que le confinement est prolongé de 15 jours.

“Ciel, mes cheveux, s’écrie Odette. Ils auraient pu prévenir et prévoir, surtout ! C’est inadmissible.” 

A ce moment-là, Edouard déclare tranquillement dans la télé : “Je ne laisserai personne dire qu’on a eu du retard à l’allumage.”

Odette explose ! Comment ça, pas de retard à l’allumage ? Je vais lui en donner, moi, du confinement ! Est-ce que j’ai une tête de confinement ? Eh ben oui, j’ai une tête de confinement ! Et c’est pas beau à voir.

Ballet final : la salsa du virus, dans une grande scène de folie générale, avec les virus et les actrices. 

 FIN 


Version plus "tragique"...

Depuis que j’ai commencé ce journal, je mesure l’ironie du titre que j’ai choisi. Journal de guerre contre un virus. Le décalage délibéré, l’oxymore entre guerre et virus. L’hyperbole que cela semble être que de parler de “guerre”. Comme notre gouvernement.

Aujourd’hui, je me dis que si c’est une guerre, c’est peut-être seulement pour l’arrière que la comparaison peut s’entendre. Pas pour le front, pour la première ligne. En effet, les soignants ne sont pas armés, ils n’ont même pas de casque - de masques, en l'occurrence -, l’ennemi est invisible et inconscient, il n’élaborre pas d’autre stratégie que celle de sa propre survie, il vient de l’intérieur et la guerre n’est pas pour autant civile. L’État n’est pas stratège…loin s’en faut.

À l’arrière, cependant, dans la population, on peut le vivre comme une guerre. Je ne parle pas du comportement de certains qui dès les premiers jours firent des stocks de papier toilette. Mais je parle de la peur, de l’angoisse, de voir l’un des siens frappés, malades, la terreur de la mort qui rode. Les blessures seront là. Différentes de celle de 14-18, des traumatismes qui n’auront rien de commun avec ceux de 45. Rien à voir non plus avec ceux de la guerre d’Algérie. Mais ce seront tout de même de lourdes conséquences, des souvenirs marquants. Ce sera une drôle de guerre. Une guerre dans un pays en paix, un pays ensoleillé et aspirant à la tranquillité, aux balades en famille, à la douceur de vivre.

Mais le soleil n’aura jamais semblé aussi inutile, le printemps si vain et si sombre. Dans nos souvenirs, le voile de la peur viendra ternir ce printemps perdu. Depuis à peu près une semaine, ici, le nombre d’avis de décès dans le journal a doublé. Il y a eu un jour de la semaine dernière où il y en a eu 5 pages.

Prenez soin de vous. Ne sortez pas. La mort s’est habillée de verdure et vient au moment où les jours rallongent, pour mieux nous tromper.

Mais tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir.

Même si je suis inquiète de tant d’insouciance, en voyant sous mes fenêtres flâner les familles, déambuler les passants, tous ces gens que je soupçonne d’avoir acheté des chiens récemment, pour pouvoir sortir trois fois par jour, je ne peux pas vraiment les blâmer. La vie veut toujours être plus forte. Cela ressemble à une tragédie grecque. La mort est inéluctable, mais ironie cruelle, nous rions quand même.

Nous n’avons pas le choix.

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