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mercredi 22 avril 2020

Journal de guerre contre un virus #38

Je n’ai pas de fièvre.

Dans les premières semaines du confinement, la poste a eu à traiter plus de colis qu’en période de Noël.

Hier, un MacDo a rouvert son drive. La file d’attente faisait plusieurs kilomètres.

Nous n’allons pas changer, pour faire suite à ce que j’écrivais hier.

Au début, j’ai commencé ce journal un peu comme une plaisanterie. Un peu comme un roman. J’ai choisi un titre ironiquement, pour souligner l’attitude outrancière de notre chef d’Etat, face un petit microbe, pour mettre en exergue la vacuité de notre époque qui sort l’artillerie lourde du vocabulaire et de la rhétorique pour nous dire de rester dans notre canapé pour vaincre un ennemi invisible.

J’ai commencé de manière dramatique, je me suis dit avec beaucoup de vanité, tiens, je vais parler de la mort. De ma mort. Comme ça, on a immédiatement une tension dramatique, on est in medias res, et même un plus loin qu’au milieu, carrément à la fin des choses, hop, tour de passe-passe génial de la faiseuse de littérature. Prétentieuse, oui, j’assume. Bon, cela a juste effrayé ma mère, qui ne lit plus ce journal depuis.

Et puis je me suis dit, je vais commencer chaque jour avec cette même phrase “Je n’ai pas de fièvre.” Leitmotiv, anaphore...Bref, caricature de professeur de lettres en manque de commentaire composé. Lamentable. Mais au fond de moi, je me disais : “Il y aura bien un jour où j’aurais de la fièvre, et là, patatra, coup de théâtre, retournement de situation, deus ex machina, tension dramatique à son comble, arriverai-je à la fin de ce journal, vivante, diminuée, exsangue, pâle copie de moi-même, tirant de mes lecteurs des larmes de compassion, servant de catharsis à la nation toute entière, martyre du Covid, morte pour la cause ?”

Et puis je n’ai toujours pas de fièvre. Pas la moindre toux, pas le plus petit signe. C’est décevant, ça ne sert pas du tout la littérature.

Au début donc, j’ai commencé à écrire ce journal comme une plaisanterie. Mais la plaisanterie s’éternise. Ce qui était un peu drôle au début - la pénurie de papier toilette, les coiffeurs fermés et nos cheveux hirsutes, ces petits détails du quotidien - ne nous fait plus vraiment rire. La gravité de la situation a carrément pris le dessus : les morts, mais surtout la solitude, l’isolement, l’impression de ne plus vraiment vivre. Ma mère que je n’ai pas vue depuis trop longtemps, ma mère qui ne voit plus son petit fils qu’à travers une fenêtre. Les gens seuls encore plus seuls que d’habitude, ne plus parler à personne, ne plus voir de figure humaine. Les morts de solitude, morts seuls et sans sépulture digne de ce nom. C’est cette déshumanisation brutale qui finira par nous rendre fous.

La plaisanterie, finalement, celle qui nous fait rire jaune, chaque jour, c’est l’incurie de ce gouvernement : incapable de tenir un discours clair, incapable d’expliquer qu’ils ne savent rien, de manière humble et compréhensible par tous. Incapables de ne pas faire d’annonces qui seront contredites dans la journée. Incapables d’avoir une colonne vertébrale, une seule stratégie, un objectif et de s’y tenir.

Si on refait le match, en effet, on a eu un président qui nous a dit, successivement : “On ferme les écoles, c’est le lieu le plus dangereux : les enfants vont ramener le virus à la maison et tuer leurs grands-parents.” Puis “La santé d’abord, tous confinés, on fait confiance aux scientifiques”, puis “On reprend le travail, enfin surtout les ouvriers pauvres, parce que la nation doit tourner.” Et enfin, “Par conséquent, il faut que les gamins soient gardés à l’école pour que les parents puissent aller trimer en toute sécurité, avec des masques en sopalin.”

Dans les livres d’histoire du futur, on pensera sans doute que durant cette période étrange, l’humanité est devenue folle. Et mon roman dans tout ça ? Il manquera de cohérence. C’est juste l’histoire d’une catastrophe annoncée, digne d’une pièce absurde de Samuel Beckett : En attendant les masques…

Rien a de sens et rien ne va...comme dit Mylène !






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