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mercredi 29 avril 2020

Journal de guerre contre un virus #45

Je n’ai pas de fièvre.

Ce soir, j’aimerais écrire quelque chose de beau, évoquer des souvenirs d’enfance et la délicatesse des roses ployant sous la pluie, luisantes dans le soleil qui est revenu et qui a balayé le ciel.

Quelque chose de beau, comme la lettre de Gaël Faye, l’autre matin, sur France Inter :



Je me souviens des longs étés d’ennuis, des journées interminables de chaleur qui nous confinaient à l’intérieur pour des après-midis de siestes, de lecture, de jeux et de télé. Mon père au travail, les mois de juillet, le foin à couper, mon père qui revenaient sentant le soleil, l’herbe sèche et la sueur du travailleur, ma mère aux confitures, les pots qu’il fallait laver et essuyer, la corvée des fruits à préparer, mais le jus sucré sur nos doigts gourmands.

Je me souviens de l’ennui infini, pour moi qui n’aimais pas les vacances, qui n’aimais pas l’été, moi qui avais toujours froid, même au plein soleil, moi qui avais l’impression de perdre mon temps, à ne rien faire, à ne rien apprendre, à ne voir personne.

C’est surtout de ne voir personne qui me déplaisait. Je n’étais pourtant pas la plus sociable des enfants, mais j’aimais observer les autres, être avec eux, malgré eux. A l’école, j’étais seule, au coin de la cour. L’école primaire fut une sorte d’enfer. Mais je préférais quand même cet enfer bruyant, peuplé d’enfants hostiles, à la solitude mornes des longs jours de vacances.

J’aime les gens, même ceux qui sont peu aimables. J’aime l’humanité dans toute sa grandeur et dans toute sa misère. Je trouvais Séverine jolie, je trouvais Laurence belle et tellement forte, je trouvais Sandrine insupportable, mais j’aimais débattre avec elle. J'aimais la créativité infinie de Laetitia. Je me méfiais de Norbert et de Thierry, mais j’observais en secret leur stratagème d’intimidation, leur fourberie, la tricherie, la duperie dont ils étaient capables. C’était infiniment plus intéressant que les dessins animés. C’était des romans grandeur nature.

Aujourd’hui, il y a toujours cette petite fille en moi. Quand je suis seule trop longtemps, je sombre doucement vers la neurasthénie, vers un spleen insondable. Même si j’écoute de la musique, même si je lis, même si j’écris. Je suis un vampire et j’ai besoin de me nourrir des autres.

Je ne vois pas assez de monde, en ce moment. Mes élèves me manquent. Souvent en classe, je me mets dans un coin, je reste au fond de la classe et je les observe, ces petits êtres en devenir : la coquette, l'espiègle, le sympa qui aide les autres, le laborieux, leurs interactions, leur façon d'être en société. C'est fascinant.

Ce confinement me place parfois devant mes démons. Il me revient en mémoires ces moments d’oublis de moi-même de l’enfance, durant lesquels j’allais jusqu’à douter de ma propre existence. Est-ce que l’on existe vraiment si l’on ne s’inscrit pas dans une société ?

Comme Gaël Faye, je ne crois pas aux vertus de ces jours désemplis. La misanthropie n'est pas ma philosophie. Et je veux retrouver le sourire des gens, sous les masques.


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