9h30
C’est ce matin que cela s’est produit. Soudain le temps m’a semblé ralentir. Jusque là, j’avais compensé, je crois. J’étais parvenue à occuper, à combler, à distraire le vide. J’avais les cours à préparer, j’avais les cellules de crise de la mairie, j’avais les repas à imaginer.
Ce matin, sous la douche, déjà, j’avais prévu le repas. J’étais en vacances, je n’avais pas à penser à mes élèves. La cellule de crise me semblerait sans doute longue et inutile. Je le présentais. En une douche de 5 minutes, j’avais bouclé la journée. J’avais aussi déjà l’idée de ce que j’écrirai ici. Alors la journée me semblait une perspective interminable qu’il faudrait meubler d’une manière ou d’une autre. Une perspective sans fin. Peut-être serait-ce le déclic pour enfin lire un peu. Pour écrire plus, pour me promener (mais cela n’occupe qu’une heure). Pour téléphoner à la terre entière. Mais ce week-end, déjà j’avais passé une heure avec ma meilleure amie au téléphone, j’avais eu toute la famille. Je passerai évidemment 20 bonnes minutes avec ma mère. Il me semblait que je ne verrai jamais le bout de ce tunnel de 24 heures et que cela recommencerait demain, puis après-demain et cela jusqu’au 11 mai.
Ensuite, j’irai au collège pour retrouver mes élèves névrosés, changés irrémédiablement par ce qu’ils avaient vécu. En craignant qu’ils soient bien plus “vecteurs” de la maladie qu’on ne le dit aujourd’hui. Ce matin, au petit déjeuner, j’ai entendu deux virologues qui n’étaient pas d’accord sur le sujet : la première affirmait que les enfants étaient porteurs de toute petite quantité de virus. Je ne suis pas virologue. Cela me semble étrange. Et puis on a quand même entendu que certains enfants mourraient. Elle disait que cela ne risquait pas grand chose de renvoyer les enfants à l’école. Elle me semblait oublier que les enfants ne sont pas seuls dans une école : qu’il y a des adultes qui les amènent et qui les reprennent le soir et qu’il y a des enseignants toute la journée avec eux. Le deuxième virologue émettait des doutes bien plus grands.
15h34
Est-ce que ça va mieux ? Non (même si la cellule de crise était bien, finalement). Mais, je ne peux pas m’empêcher de faire des remarques acides à chaque fois que j’entends les infos. Un cynisme total. Sur le mode “on nous ment”. Mais mon regard est faussé par ce que je constate sur le terrain. Je sais que les annonces du gouvernement ne correspondent pas à la réalité. Qu’il n’y a pas de masques ou trop peu pour les aides-soignants, les aides à domicile, pour les Ehpad, et qu’il n’y aura probablement pas non plus de masques “grand public” pour tout le monde le 11 mai. Tout simplement parce que quand on fait le tour des entreprises françaises qui peuvent en fabriquer (essentiellement la bonneterie, les petits pulls marins, les fabriques de textiles de luxe, de robes de mariée, de lin, de percale et de satin…), on a vite fait le tour et on se rend compte que leur capacité de production est limitée. Normal. On ne sait pas fabriquer du tee-shirt chinois à 2€ main d’oeuvre et transport compris, à des centaines de millier d’exemplaires jour. Donc, on ne sait pas non plus fabriquer des masques en tissus trois plis lavables en machine 20 fois à moins de 5€ (oui, c’est à peu près le tarif, tu te rends compte ? C’est le moment de se lancer : découpe tes vieux draps, il y a du pognon à se faire) dans des délais courts.
De toute façon, ne nous leurrons pas : les masques “grand public”, ça ou rien c’est à peu près pareil. Ils portent tous la mention “A utiliser tout en respectant les gestes barrières”. Donc tu vas t’étouffer et suer dans un masque “grand public”, tout l’été, tout ça sans pouvoir pour autant faire des papouilles à ceux que tu aimes.
Bref. Cet après-midi aussi je suis d’une humeur de chien.
J’ai lu une interview d’André Comte-Sponville, qui remet bien les idées en place, je trouve. Je vous la conseille : CLIC
Et comme cela fait plusieurs jours que je me plains sur ce blog que ce qui m’angoisse le plus, c’est l'incertitude, le philosophe me rappelle justement que l’incertitude, c’est depuis toujours notre destin.
Il y a des évidences qu’il faut parfois rappeler, dans notre monde écrasé de certitudes…
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