On ne peut pas toujours être cynique et désabusé. J’inquiète ma famille inutilement. Certes, ce que l’on vit en ce moment n’est guère réjouissant.
Essayons cependant de relativiser. Toujours. C’est ce que fait toujours l’être humain.
Hier soir, on a regardé le dernier spectacle d’Alex Lutz. J’aime beaucoup cet artiste. Dans un de ses sketchs, il faisait très justement remarquer que l’être humain était le seul, dans le règne animal à commettre les pires horreurs et puis, immédiatement après, les plus grandes oeuvres…
Il prenait l’exemple de la seconde guerre mondiale : l’humanité a passé 6 ans à se flinguer, à se balancer des bombes sur la tronche. Puis immédiatement après, Saint-Germain-des-Prés, le jazz...Tanks, camps de concentration, et hop ! Trompette ! Le lion, ajoutait-il, quand il a zigouillé une antilope, ne fait pas la fête, juste après.
C’est beau, cette capacité, ce don pour le bonheur.
C’est souvent sur ces contrastes propres à la vie que les oeuvres d’art un peu intéressantes fonctionnent.
Un Nocturne de Chopin peut commencer par quelques notes guillerettes, sur un accord majeur, puis continuer par des passages beaucoup plus sombres. La vie est ainsi faite, de ses hauts et de ses bas.
La mort se cache toujours dans les plis de l’oreiller qui accueillit le plus grand des bonheurs.
Comme je n’ai pas grand chose à dire aujourd’hui, mis à part ces banalités, je vous offre un poème de Rimbaud, qui nous suggère ce que nous pourrions faire à la fin du confinement :
Sensation
Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :
Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, – heureux comme avec une femme.
Mars 1870
Arthur Rimbaud
Et une chanson de Juliette, qui tient un peu du Nocturne de Chopin...et qui dit si bien les contrastes de la vie.
Sur l'oreiller
J'aurai beaucoup trop chaud peut-être
Il fera sombre, que m'importe
Je n'ouvrirai pas la fenêtre
Et laisserai fermée ma porte
Je veux garder pour en mourir
Ce que vous avez oublié
Sur les décombres de nos désirs
Votre parfum Sur l'oreiller
Laissez-moi deviner
Ces subtiles odeurs
Et promener mon nez
Parfait inquisiteur
Il y a des fleurs en vous
Que je ne connais pas
Et que gardent jaloux
Les replis de mes draps
Oh, la si fragile prison!
Il suffirait d'un peu de vent
Pour que les chères émanations
Quittent ma vie et mon divan
Tenez, voici, j'ai découvert
Dissimulées sous l'évidence
De votre Chanel ordinaire
De plus secrètes fulgurances
Il me faudrait les retenir
Pour donner corps à l'éphémère
Recomposer votre élixir
Pour en habiller mes chimères
Sans doute il y eut des rois
Pour vous fêter enfant
En vous disant
"Reçois
Et la myrrhe et l'encens"
Les fées de la légende
Penchées sur le berceau
Ont fleuri de lavande
Vos yeux et votre peau
J'ai deviné tous vos effets
Ici l'empreinte du jasmin
Par là la trace de l'oeillet
Et là le soupçon de benjoin
Je pourrais dire ton enfance
Elle est dans l'essence des choses
Je sais le parfum des vacances
Dans les jardins couverts de roses
Une grand-mère aux confitures
Un bon goûter dans la besace
Piquantes ronces, douces mûres
L'enfance est un parfum tenace
Tout ce sucre c'est vous
Tout ce sucre et ce miel
Le doux du roudoudou
L'amande au caramel
Les filles à la vanille
Les garçons au citron
L'été sous la charmille
Et l'hiver aux marrons
Je reprendrais bien volontiers
Des mignardises que tu recèles
Pour retrouver dans mon soulier
Ma mandarine de Noël
Voici qu'au milieu des bouquets
De douces fleurs et de bonbons
S'offre à mon nez soudain inquiet
Une troublante exhalaison
C'est l'odeur animale
De l'humaine condition
De la sueur et du sale
Et du mauvais coton
Et voici qu'ils affleurent
L'effluve du trépas
L'odeur d'un corps qui meurt
Entre ses derniers draps
Avant que le Temps souverain
Et sa cruelle taquinerie
N'emportent votre amour ou le mien
Vers d'autres cieux ou d'autres lits
Je veux garder pour en mourir
Ce que vous avez oublié
Sur les décombres de nos désirs
Toute votre âme sur l'oreiller.
Juliette Noureddine
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