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dimanche 26 avril 2020

Journal de guerre contre un virus #42

“- Je n’ai pas de fièvre ? Vous êtes sûre ?”

C’était fin janvier dernier chez le médecin. Marion allait chez son docteur chaque fin de mois pour un contrôle de routine. Elle était hypocondriaque, cela va sans dire. Elle aimait bien le docteur Guerraz, un docteur à l’ancienne, à l’écoute, rassurant, toujours raisonnable dans ses conseils et ses ordonnances. “Quand vous entendez le bruit du galop, vous ne pensez pas immédiatement à un zèbre”, avait-il coutume de répliquer, calmement à Marion, quand elle venait pour se plaindre d’une petite boule qui lui était poussée au creux du poignet (c’est une tumeur, j’en suis sûre !), pour un petit mal de gorge qui persistait (c’est un cancer de la gorge !) ou pour une remarque qu’un collègue lui aurait fait sur son bronzage (je suis à peine sortie au soleil, c’est une hépatite, c’est certain !)

Alors ce matin, elle n’était pas rassurée : c’était un petit jeune qui officiait. Prise de tension, pesée, examen des oreilles et de la gorge, tout semblait normal.

“ - Vous ne prenez pas ma température ?” Elle insistait. Le docteur Guerraz était là : il était resté derrière le bureau et sur son visage, se dessinait un petit sourire amusé. Il connaissait Marion depuis sa plus tendre enfance. Le médecin de toute la famille. Et depuis toujours, il avait une tendresse particulière pour cette inquiète-là. Celle qui lisait des tas d’articles sur internet, qui voulait comprendre tout ce que lui prescrivait le généraliste, l’action des médicaments, la posologie, la différence entre anti-inflammatoire, antalgiques, analgésiques. C’était les mots, qu’elle aimait. Marion, à 12 ans, aurait pu réussir sa première année de médecine.

Quand le vieux docteur avait vu son nom pour un rendez-vous, sur son agenda, il avait jubilé d’avance : il savait que ce serait une expérience enrichissante et une rencontre, une vraie rencontre, avec Paul, son interne en stage.

Paul entamait sa troisième année. Il n’était pas vraiment un stagiaire comme les autres. Guerraz en avait pratiqué un certain nombre : ils étaient en général coulés dans le même moule, avec leur petit pantalon à pinces et leur pull en V, sur un col de chemise impeccable. Paul avait le crâne rasé, un sourire d’une blancheur étincelante venait barrer son visage au détour de chacune de ses phrases. Il portait des tee-shirts improbables et des jeans serrés. Même la secrétaire avait remarqué un afflux de rendez-vous, les jours où il était là. Les vieilles patientes du bon docteur en étaient folles.

Marion insistait donc pour qu’on vérifie sa température. Le docteur Guerraz écoutait attentivement. On n’était jamais au bout de ses surprises, avec elle !

“ - Je me suis fait piquer par un moustique tigre, avant hier.” déclara-t-elle avec aplomb.

Paul éclata de rire ! Devant l’air très sérieux de la demoiselle, cependant, il s’arrêta net. “- Vous étiez en Afrique ? - Non, pas du tout, mais le réchauffement climatique…- En plein mois de janvier, en Franche-Comté, rassurez-vous, pour l’instant, c’est impossible.”

Elle eut l’air rassuré, un quart de seconde. Puis elle reprit : “Prenez quand même ma température.” Le ton était sans réplique. Il s’exécuta. 37,2°C. Ne vous inquiétez pas. Et à nouveau, ce sourire de tombeur.

Elle sortit du cabinet un peu plus perturbée qu’à l’ordinaire. C’est-à-dire, bouleversée. Elle ne savait plus. Elle aurait bien demandé une contre visite au docteur Guerraz, mais elle n’avait pas osé. Elle s’était réellement sentie rassurée, sereine soudain. Plus apaisée que jamais.

Le soir, elle s’endormit rapidement et sans cauchemar. Elle rêva à Paul et à son sourire ravageur. En se réveillant, elle décida de prendre rendez-vous à nouveau la semaine suivante. Le manège dura trois semaines. Marion était amoureuse, c’était une évidence.

La dernière semaine, le Docteur Guerraz, en raccompagnant Marion à la porte de son cabinet, lui glissa le numéro de téléphone de Paul. Marion rougit comme une enfant et embrassa son vieux médecin sur la joue.

S’ensuivit de longues soirée à échanger par SMS. Tout commençait par des questions médicales. À quoi servent les émétiques ? Je ne suis pas sûre de l’omelette aux champignons que j’ai mangée ce soir. Comment distingue-t-on une angine ? J’ai toujours l’impression que mes amygdales sont de trop, faut-il que je les fasse retirer ? Quels sont les symptômes d’un cancer des intestins ? J’ai mal au ventre. L’imagination de Marion semblait infinie. Cela faisait tellement rire Paul. Il trouvait les mots pour la rassurer, pour lui apprendre quelque chose qu’elle ignorait. Il avait un humour fou.

Et puis très vite, ils décidèrent de se voir. Ciné, resto, le début d’une belle relation, pleine de joie, de bonheur, de tendresse. Nous étions fin février et l’un et l’autre avait déjà l’impression de se connaître depuis toujours, de se deviner, de se compléter.

A chaque instant, ils s’espéraient, ils s’attendaient, ils se désiraient. Ils envisageaient déjà secrètement de passer le restant de leurs jours ensemble.

Et puis mi-mars, vint le confinement. Ils n’avaient pas encore emménagé ensemble, évidemment, même s’ils avaient fait ensemble quelques plans sur la comète. Ils étaient pourtant sur le même canapé pour regarder l’allocution de Macron qui annonça la première période de confinement. Ils se regardèrent dans les yeux, ils se promirent qu’ils tiendraient le coup, que ce n’était que l’affaire de quelques semaines.

Mais ils firent l’amour un peu comme si c’était la dernière fois.

Elle vivait à la campagne, il habitait à la ville, ils n’étaient pas dans le fameux périmètre d’un kilomètre qui leur aurait permis de voir un peu.

Commença alors le long tunnel de la séparation forcée, les rendez-vous vidéos, les textos enflammés, les longues conversations au téléphone, des délicates attentions, des photos de fleurs, de paysages, de coucher de soleil. Des petits plats qu'ils ne partageaient pas pour de vrai.

Marion s’émerveillait devant les chardons et les lilas du jardin. Paul adorait photographier le centre ville déserté.

Mais voilà...Le temps s’étire, le manque s’installe.

Au début, une fois tous les trois jours, ils décidèrent d’aller faire leurs courses dans le même supermarché, à la même heure. Ils se retrouvaient pour leur rendez-vous amoureux, tout parfumés de gel hydroalcoolique, gantés et masqués de près, à se regarder les yeux dans les yeux dans la file d’attente, à deux mètres l’un de l’autre. “Tu m’as manquée”, chuchotait-il, chuintant dans son masque fait maison. “Quoi ?” répondait-elle, entre rire et larmes. Leurs yeux parlaient pour eux. Ils se dévoraient du regard, ils n’avaient plus que cela. Leurs mains, leur corps tout entier étaient au supplice de ne pouvoir s’étreindre. Ils firent ainsi leurs courses trois fois. Et puis d’un commun accord, ils jugèrent cela trop difficile, trop cruel, de ne pouvoir s’approcher, de ne pouvoir se sentir et se caresser. Ils abandonnèrent cette idée.

Et le temps devint si long. Ils se demandaient chaque jour quand ils pourraient se revoir et s’ils s’aimeraient encore.

Au bout de la 4e semaine, les angoisses de Marion prirent le dessus. Jusque là, elle avait un peu psychoté, comme tout le monde, mais toujours dans des proportions raisonnables et Paul arrivait à la rassurer. Désormais, elle se réveillait chaque matin en s’auto-auscultant, en scrutant le moindre soupçon de symptôme de la maladie.

Elle pensait sincèrement, à 8h, qu’elle était porteuse saine. Puis à 8h10, elle estimait qu’elle avait perdu le goût, après avoir bu son café qui lui semblait plus fade qu’à l’accoutumée. A 8h13, elle appelait Paul en panique totale, n’arrivant plus à reprendre son souffle, persuadée qu’elle allait mourir dans l’heure.

Elle recommençait chaque matin, chaque après-midi.

Elle lisait tout ce qu’on trouvait sur internet.

“Accroche-toi, disait-elle, il paraît que c’est une maladie du sang, qui ressemble au SIDA. Qui empêche aux globules rouges de transporter l’oxygène. C’est pour ça qu’on étouffe. C’est pour cela que j’étouffe. Je vais mourir, Paul, sans jamais te revoir.”

Paul était un grand calme, il connaissait maintenant le dossier médical de Marion. Mais il eut vraiment peur, le lundi matin de la 6e semaine, lorsqu’il eut l’impression que Marion ne parviendrait pas à reprendre sa respiration. Il eut vraiment le sentiment qu’elle mourait au téléphone.

Il appela les pompiers et essaya de se rendre à l’hôpital pour retrouver sa bien-aimée. Mais il se fit arrêter à l’entrée de l’autoroute par la maréchaussée et écopa d’une contravention de 135 € avec l’obligation de rentrer chez lui. Paul s’énerva, il argua qu’il devait aller à l’hôpital, que l’amour de sa vie était entre la vie et la mort, qu’il fallait qu’il soit avec elle.

L’agent ne voulut rien entendre et menaça de doubler le PV d’un outrage à agent bien mérité.

Il fut effaré, mais seulement après coup, de constater que le policier n’avait pas de masque, qu’il s’était penché pour le voir de près par la portière de la voiture, qu’il avait pris ses papiers sans gants, avait tourné les pages du passeport après s’être léché le bout du doigt, machinalement.

Il se dit que c’était probablement là qu’il avait attrapé le virus, qui se déclara 3 jours plus tard. La forme dure de la maladie : l’impression d’avoir les poumons broyés par un rouleau-compresseur. En catastrophe, il appela les pompiers.

Lors de la première alerte, Marion avait eu la chance d’avoir un test. Ce n’était rien d’autre qu’une crise d’angoisse...ce qu’elle refit aussitôt qu’elle apprit que Paul était bel et bien contaminé. Elle appela les pompiers, elle aussi. Bien qu’elle ait déjà fait une fausse alerte, ils la conduisirent aux urgences.

C’est là que les tourtereaux, se retrouvèrent enfin, couchés sur deux brancards, côte à côte, dans un couloir sombre des Urgences.

Dans un demi-délire dû tout autant à l’amour qu’à la fièvre, ce qui est parfois la même chose, ils se promirent de s’épouser dès que les feuilles des arbres tomberaient, dès que cette période grise serait terminée. Qu’ils se promettraient un amour éternel, que sa robe de mariée serait entièrement faite en masques chirurgicaux, qu’il revêtirait une surblouse en plastique, avec un noeud papillon et que le cocktail de l’apéro serait dans des seringues. Qu’ils feraient une chorégraphie de la distanciation sociale très marrante pour ouvrir le bal, avec les gestes barrières, sur la musique U can’t touch this, de MC Hammer.

Qu’ils réapprendraient à se toucher, à se caresser quand ils seraient immunisés et que ce serait comme une chanson de Madonna : Like a virgin, touched for the very first time...


4 commentaires:

Nicolas Jégou a dit…

Belle histoire !

Cycee a dit…

Merci, Nicolas ! Bisous

noelle grimme a dit…

oui mais la suite la suite !!s'en sort 'il se marierent 'ils et eurent beaucoup d'enfants? tu nous laisses sur la faim::

Cycee a dit…

Coucou Noëlle,
Je suis pour la liberté du lecteur ! Je sais que tu es une grande optimiste, donc, oui, si tu veux, ils guérissent, se marient et ont des enfants qu'ils nomment Corona et Covido !
Bisous