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dimanche 5 avril 2020

Journal de guerre contre un virus #21


Je n’ai pas de fièvre.

Je ne pense pas, d’ordinaire, avec Mallarmé, que la chair est triste - et je n’ai pas lu tous les livres, loin s’en faut. Cependant, avec lui, j’aimerais fuir, là où les grands oiseaux s’amusent dans l’écume. 

On n’entend plus guère les chants des matelots, de nos jours. Ici, on entend les mouettes sur le Doubs. Et avec un peu d’imagination, en fermant fort les yeux, il se peut que nous puissions sentir la brise marine.

Brise marine 

La chair est triste, hélas ! et j'ai lu tous les livres. 
Fuir ! là-bas fuir! Je sens que des oiseaux sont ivres 
D'être parmi l'écume inconnue et les cieux ! 
Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux 
Ne retiendra ce coeur qui dans la mer se trempe 
Ô nuits ! ni la clarté déserte de ma lampe 
Sur le vide papier que la blancheur défend 
Et ni la jeune femme allaitant son enfant. 
Je partirai ! Steamer balançant ta mâture, 
Lève l'ancre pour une exotique nature ! 

Un Ennui, désolé par les cruels espoirs, 
Croit encore à l'adieu suprême des mouchoirs ! 
Et, peut-être, les mâts, invitant les orages, 
Sont-ils de ceux qu'un vent penche sur les naufrages 
Perdus, sans mâts, sans mâts, ni fertiles îlots... 
Mais, ô mon coeur, entends le chant des matelots ! 

Stéphane Mallarmé, 1893.

Mais aller à la mer, y aller vraiment, voilà qui semble bien compromis. Même à la piscine, c’est un rêve qu’il faut caresser et remettre à plus tard. Cela tombe bien, je ne suis pas épilée. J’aurais pourtant le temps de le faire à la pince. Mais c’est étonnant comme malgré le temps que l’on a, on décide parfois de ne rien faire. Juste ne rien faire. Juste éprouver l’ennui et voir s’écouler lentement les minutes. Est-il seulement 10h ? La matinée s’étire et ce n’est pas si désagréable. Un peu de musique. Soudain une chanson qu’on aime, on chante.

J’ai réécouté Georges Moustaki, hier. Le chanteur de la paresse et de la lenteur, par excellence. Nous prendrons le temps de vivre.

Profitons. C’est si rare, de pouvoir faire le point sur son ennui, sur ses souvenirs. Chercher un poème, le relire. "J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans". Avec Baudelaire, faire le bilan de nos gros meubles. Faire l’inventaire de nos placards.

Dans la salle de bains, je tombe sur deux shampooings repigmentants. Sur la bouteille, des vertus presque magiques. Sur ma tête, aucun résultat. Vivement que le coiffeur se déconfine et puisse me repigmenter.

Glissons aux placards de la cuisine. Passer alors cinq bonnes minutes à rêvasser sur un pot de mousse de brochet au beurre blanc - qu’on s’est fait sur des toasts pour l’apéro -. Repenser en salivant aux brochets incroyables des repas de famille de mon enfance. Un véritable plat de fête : un brochet cuit au court bouillon puis reconstitué de la tête à la queue, en gelée, sur un plat décoré, avec de la mayonnaise, de la macédoine de légumes, des tomates découpées de façon savante et des quartiers de citrons. La chair délicate, la fierté du pêcheur - j’avais des pêcheurs dans ma famille, autrefois. Y-a-t-il encore des traiteurs qui ont conservé ce savoir-faire aujourd’hui ? Autour du Lac du Bourget, peut-être.

Le Lac du Bourget. Passer encore quelques minutes à laisser mon esprit voyager vers ce paradis perdu. Un petit tour sur Instagram, pour voir quelques photos en tapant Conjux dans le moteur de recherche. Décider finalement de regarder mes propres photos, mes propres souvenirs et m’émerveiller de la lumière éclatante et des brumes mystérieuses s’accrochant aux flancs des montagnes.

Il est déjà midi.

Regarder depuis mon balcon, passer les gens, pas les cons, non, je ne les connais pas tous, mais ils ne méritent pas mon jugement à l’emporte-pièce, quand bien même la référence à Brassens...

Brassens...aller chercher la guitare, jouer un peu, Dans l’eau de la claire fontaine, se demander s’il ne fait pas trop chaud pour le bois de l’instrument, rentrer à nouveau.

Soutenir moralement Amandine qui fait des trous dans les murs pour installer une cimaise.

Il est déjà 15h.

C’est l’heure du cours de dessin avec Claude Bellaton, sur Facebook.

Repenser qu’hier soir, on a découvert une artiste locale qu’on connaissait uniquement dans son rôle de livreuse de Place du Local, dont je vous parlais justement dans mon dernier billet. C’est Ad’line. Elle chante, elle joue de la guitare et elle offre son talent sur Facebook. Comme M ou Jean-Louis Aubert. Un sacré talent, une voix un peu cassée, une belle personne. Un beau moment.

La journée n’est pas finie. Il faut aller chercher du pain. Il faut s’aérer un peu aussi, on va imprimer des attestations, les remplir, ça va bien nous prendre un quart d’heure et puis on sortira au soleil du soir, profiter un peu de la belle lumière sur le Doubs.

Bonne soirée !

7 commentaires:

Nicolas Jégou a dit…

Tu écoute Moustaki volontairement ? Tu dois etres très malade !

Cycee a dit…

Non, pourquoi ? J'aime bien ce grand mou.

Nicolas Jégou a dit…

Je plaisantais. J’ai un truc spécial contre Moustaki qui fait que je n’ai jamais pu le blairer. Quand j’étais en troisième, j’avais un correspondant allemand. Il m’avait offert, en son arrivee chez nous, un disque de Moustaki. Après, je suis allé chez lui, j’ai de ouvert que ses parents étaient des gauchistes bobos. Ils avaient aménagé un appartement au niveau du garage pour le fils. Et j’avais une chambre à moi alors que lui avait été obligé de dormir dans ma chambre, dans le lit de mon frère qui, lui, était allé dormir dans un lit d’appoint dans la chambre de ma sœur.

Voilà pourquoi je déteste Moustaki et c’est amusant de voir comment le confinement fait ressortir des souvenirs.

Cycee a dit…

On a du temps pour ça. Je trouve ça bien. Un peu comme la retraite qu'on aura peut-être beaucoup plus tard. Une retraite avant de perdre la mémoire.
Bonne journée, Nicolas !

Elodie Jauneau a dit…

Je commente pas tous tes billets mais je les lis tous.
1) c’est un plaisir de te (re)lire
2) c’est un plaisir de linker chez toi
3) bises avec les coudes

Cycee a dit…

Tout pareil de mon côté, Elodie. Je te lis, je linke un peu, parfois quand je pense à faire des links, je ne commente pas beaucoup, mais le coeur y est. J'adore ton ton, ton humour et les choses que tu dis.
Bisous

Elodie Jauneau a dit…

Grosses bises masquées 😘