Journal de guerre contre un virus #23

Je n’ai pas de fièvre.

Attention. Billet interdit aux gens qui n’aiment pas les gros mots. 
(à lire avec le second degré nécessaire)

J’en ai marre. Soyons honnête, ce confinement ne sert à rien. Contaminons-nous, mourrons ensemble. Et finissons en une bonne fois pour toute avec cette race humaine toute pourrie qui ne fait que des conneries depuis que le monde est monde.

J’en ai marre. Je vois tout en noir. Parce que c’est noir ! Encore 5 pages d’avis de décès dans le journal. Des personnes qui meurent sans que leur famille puisse les voir une dernière fois. Quelle misère !

J’en ai marre. Je veux qu’après cette crise et même pendant cette crise, on réagisse, qu’on arrête de reproduire les mêmes erreurs qu’avant. Qu’on arrête l’égoïsme, l’amour de l’argent, le mépris des arts et des gens. Je veux qu’on s’aime, bordel. Je déclare avec Estelle Duflo (prix nobel d’économie) qu’on en a rien à faire de combien ça va coûter. Qu’il faut juste allonger le pognon maintenant pour que ça s’arrête vite. Et qu’on aura bien le temps de faire les comptes après. Les radins payent toujours tout trois fois plus cher au bout du compte, les cons.

J’en ai marre de rester enfermée. Je veux retourner voir mes élèves en vrai. Ils me manquent, ces petits cons. Je veux pouvoir continuer le travail entamé avec Mary, pour améliorer son orthographe. Je veux pouvoir aider vraiment Hamza qui ne comprend jamais rien, mais que j’aime bien quand même, parce que je le connais depuis la 6e et qu’il n’a pas tellement grandi, qu’il a toujours sa tête de choupinou boudeur quand il me dit “Madame, je comprends pas ce qu’il faut faire”. Le voir rire en smiley ne me suffit pas.

J’en ai marre de devoir régler les problèmes de délation des voisins entre eux.

J’en peux plus de ce ciel bleu, bordel. Je veux qu’il pleuve, maintenant. D’ailleurs, le Doubs est en train de devenir sec comme un pruneau et même la pelouse est ridiculement rachitique. Je veux un temps pourri, qu’on sache pourquoi on squatte le canapé.

J’en ai marre et je veux juste mourir. J’en suis déjà à 42 pages de ce journal débile et la presse locale n’a même pas eu l’idée de faire un articulet dessus dans la rubrique “bonne nouvelle”. Genre, pendant la crise, une romancière écrit son journal pour faire passer le temps à ses lecteurs. Genre, elle raconte que des conneries, mais elle met de jolies photos. Je ne sais pas, un truc. Non rien. Juste bon à publier des mauvaises nouvelles, des morts, des avis de décès.

J'en ai marre. Si vous voulez juste acheter le journal au bureau de tabac, vous pouvez vous prendre une amende, parce que ce n'est pas un produit de première nécessité. Vous devez acheter des clopes en même temps. Contre le virus, pour le cancer !

J’en ai marre. Mes intestins sont encore plus mal en point que d’habitude, je ne fais pas assez d’exercice.

J’en ai marre, je vais tuer les tourterelles qui n’arrêtent pas de roucouler. De toute façon, les voitures couvrent à nouveau leur chant. Les gens sont incapables de rester chez eux, il y a autant de circulation qu’avant. Tolérance zéro. Check point dans toutes les rues. Amendes de 200 € pour tous les cons qui roulent.

J’en ai marre, je vais délationner moi aussi, ça m’occupera. Le type qui passe avec le chien à longues oreilles, là, il le promène 21 fois par jour. Le chien a les pattes qui saignent. Je veux des contrôles de police et de la SPA réunies.

J’en ai marre. Je veux partir pour le week-end de Pâques. Je veux aller voir ma mère en Savoie et voir le lac du Bourget une dernière fois avant de crever.

J’en ai marre de me dire putain, j’ai de la chance, j’ai un balcon, il y en a qui ont 50 mètres carrés pour 6. Mais putain, il y en a qui vivent au bord de la mer.

Mais sinon, tout va bien.